La vie est-elle une simple partie de Scrabble ?

On commence à la naissance avec des lettres que l'on nous a attribué. Elles sont en ordre, quelqu'un les a placé pour nous. Et durant une longue période une main invisible va se charger de les disposer sur le plateau en notre nom. Mais quand le temps est venu de jouer seul, la partie se complique. Il va falloir former nos propres mots. Au début, ils sont courts, un peu hasardeux même. A des moments, une simple lettre ira s'ajouter à un mot formé par une tierce personne. Parfois, on se trompe, une faute d'orthographe vient tout chambouler.

Alors on reprend des lettres, on reforme des mots. La vie telle une partie de scrabble inachevée. On tire de bonnes mais aussi de mauvaises lettres. Et bien sûr, les bonnes on les voit partir plus vite que les mauvaises. En regardant le plateau de jeu, on s’aperçoit qu’on ne sait même plus quand elles sont parties se poser là ou là ou encore là-bas.

Et on perd de vue les autres joueurs, à un moment ou à un autre, on ne sait pas non plus comment cela est arrivé. Tout bascule, le plateau se renverse, on attend patiemment le prochain dimanche pour ressortir le plateau de jeu et les lettres. Et on recommence une nouvelle partie. De nouveaux mots et de nouveaux maux, encore ces mauvaises lettres, on en ajoute d’autres. On en reprend des belles, on se reprend à rêver des anciennes que l’on avait. Et on rejoue le jeu de la vie.

On découvre l’amitié puis l’amour. Après elles, on court toujours. On court jusqu’à en perdre haleine. On ne se borgne plus qu’à croire en elles. Puis l’amour se met à réunir deux êtres, ils oublient le sens du mot amitié. Ils vivent à deux, dans leur bulle. Ils oublient de sortir ce jeu tous les dimanches, il prend la poussière dans une armoire, oublié des joueurs.

Puis un jour, l’amour dit adieu. L’autre se retrouve seul, il ne sait plus quoi faire. Et l’amitié refait surface, elle vient vers lui. Certains sont partis mais les meilleurs restent et ils resteront toujours. On ressort le jeu, on essuie son couvercle, on installe le tout sur une jolie nappe.

Et on reprend le chemin de la vie. On recommence à tirer des lettres, on repioche encore des mauvaises et des bonnes, les bonnes sont belles mais les belles ont des ailes. Elles refilent, on se reperd à nouveau. On se dit que la vie est une peste, mais on le dit derrière son dos. Car rien ne vaut la vie et on sait que tout reviendra. Pour mieux repartir. Et encore revenir. On remettra à nouveau le jeu sur la table chaque dimanche, puis on l'oubliera. Jusqu’au jour où les belles lettres décideront de rester sur ce plateau, dans cette partie inachevée.

Et au bout du compte, on se dira qu’on a bien vécu. Le plateau sera bien rempli. Il sera usé avec le temps mais c'est ce qui fera son charme. On y aura joué des heures et des heures, on l'aura oublié parfois, on sera revenu à lui d'autres fois. Comme un gamin émerveillé devant un jouet, on regardera le plateau de la vie et on pourra partir avec ce beau sourire : celui qui dit qu'on aura bien vécu notre vie.